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Médiapart  16 octobre 2013 |  Par Rachida El Azzouzi

Sept syndicalistes Sud de l'usine de Poissy sont en grève de la faim depuis le 18 septembre. Ils dénoncent le harcèlement moral, la répression syndicale et les conditions de travail dégradées après la fermeture programmée de PSA Aulnay.

Le 18 septembre dernier, alors que la direction de PSA-Citroën démarrait les négociations avec les syndicats sur les accords de compétitivité en contrepartie d’un maintien dans l’emploi dans ses usines jusqu’en 2016, plusieurs sites renouaient avec la grève à travers la France contre ce projet de flexibilité qualifié d’« anti-social » pour les salariés. L'accord prévoit, entre autres, le blocage des salaires, la suppression de primes diverses, l’augmentation du nombre de samedis travaillés obligatoires assortie d’une baisse des rémunérations, une mobilité forcée... À Poissy dans les Yvelines où FO est majoritaire, 470 salariés débrayaient. Une situation assez inédite, depuis longtemps.

Mais sept syndicalistes de Sud, syndicat minoritaire dans l’usine (6 % aux dernières élections professionnelles), ont voulu aller plus loin dans le rapport de force en entamant une grève de la faim devant les grilles du pôle tertiaire, non loin du centre de production. Pour dénoncer les accords de compétitivité, les conditions de travail fortement dégradées depuis que la direction leur a demandé de rattraper le retard de la production de la C3, transférée sur le site de Poissy dans le cadre de la fermeture définitive du site d'Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) prévue en 2014, mais pas seulement.

Ahmed, Moukrim, Saïd, Abdelilah, Hicham, Najem et Houssam ont aussi opté pour ce moyen de lutte radical pour alerter sur le harcèlement moral et les discriminations syndicales dont ils se disent victimes depuis des années au sein de l’entreprise sans jamais réussir à se faire entendre. Méthodes qui ont déjà valu à PSA Poissy une condamnation par la justice. Le 16 mai dernier, la cour d’appel de Versailles a en effet confirmé un jugement du conseil des prud'hommes de Versailles de 2010 et condamné l’entreprise à verser 70 000 euros de dommages et intérêts à l'ancien secrétaire de Sud Auto à Poissy, pour discrimination syndicale et harcèlement moral.

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Vexations, mises au placard, intimidations, sanctions arbitraires, entrave au fonctionnement de leur syndicat sans local ni accès à internet et devenu non-représentatif depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur la représentativité des syndicats… Les sept grévistes, qui ont entre trente et quarante ans, décrivent un quotidien impossible, une omerta et une opacité déjà déplorées sur d’autres sites comme à PSA Aulnay. Vingt-neuf jours plus tard, dans l’indifférence quasi générale, ils campent toujours devant l’usine nuit et jour, sous les tentes offertes par leurs copains cheminots et postiers de Sud, avec pour seule nourriture des vitamines, des sels minéraux et des boissons sucrées, imposée par une équipe de médecins bénévoles qui se relaient à leur chevet.

Leur initiative, si elle a le soutien discret de quelques salariés et de quelques syndicalistes des autres organisations qui ne veulent pas s’attirer d’ennuis, n’est pas vue d’un très bon œil en interne dans les ateliers. « Ils étaient déjà très isolés mais là, ils se sont encore plus isolés en la jouant solo », lâche sous couvert d’anonymat un salarié qui refuse de les soutenir. Fin septembre, lors d’un comité d’entreprise, la section CGT de Poissy s’est fendue d’une déclaration torpillant leur démarche « en total décalage avec les enjeux actuels du combat syndical ». De quoi envenimer le climat social déjà délétère et diviser un peu plus syndicats et salariés en cette période de grande dépression dans le groupe.

La CGT considère que « la place des militants syndicaux est d’être dans les ateliers pour organiser la lutte des salariés plutôt que de camper devant le siège social pour réclamer un meilleur traitement » et désapprouve « l’utilisation de la grève de la faim comme moyen d’action ». « Seule la mobilisation du plus grand nombre possible de salariés permettra de mettre un frein à la destruction de nos emplois, de nos salaires et de nos vies par des actionnaires qui n’ont qu’une obsession : le profit », a-t-elle déclaré, nuançant cependant son propos en se disant « pas insensible au drame humain vécu par les grévistes de la faim ».

Car le drame est bien là, à l’entrée de l’usine. Ahmed, Moukrim, Saïd, Abdelilah, Hicham, Najem et Houssam, visages émaciés, entament dangereusement leur quatrième semaine de grève de la faim. Leur comité de soutien, qui rassemble des partis et associations de gauche, le NPA, ATTAC, la LDH, Solidaires mais aussi des salariés de PSA, tente d’alerter médias et autorités sur leur état de santé qui n’en finit pas de se dégrader sous l’œil de tous. Selon les médecins, leurs fonctions vitales sont atteintes. Il y a une semaine Olivier Besancenot, l’ancien leader du NPA et ancien candidat à l’élection présidentielle, leur a rendu visite et offert une médiatisation. Il y a eu aussi Martine Billard, co-présidente du parti de gauche.

Son camarade François Delapierre, secrétaire national du PG, a demandé, mardi 15 octobre, à Pierre Moscovici, ministre de l'économie, d'intervenir en leur faveur et d’écrire au patron de PSA Philippe Varin. « S'il fait ce geste d'humanité, je constaterai que ce n'est pas un salopard », écrit-il dans un communiqué. Mais le dialogue semble rompu avec la direction qui n’a pas donné suite à notre demande d’entretien. Le cabinet du ministre du travail Michel Sapin avait bien nommé un médiateur. « Mais il nous a demandé de cesser la grève de la faim pour pouvoir discuter. On a refusé. On discute d’abord puis on cesse la grève, si on obtient des droits », explique Ahmed qui a fondu de vingt kilos en moins d’un mois.

Submergé par la fatigue et les larmes, « à bout », il craint de « se réveiller demain matin et que l’un d’entre nous soit mort ». « Où est François Hollande, l’homme pour qui j’ai voté et appelé à voter ? Avec les patrons ? » lâche-t-il dans un sanglot. Même la fête de l’Aïd-el-Kebir, jour sacré pour le musulman qu’il est, mardi 15 octobre, n’a pas eu raison de sa détermination, ni de celle de ses camarades… « Nos familles sont très inquiètes mais nous soutiennent dans notre combat. Ma femme a vu les ravages du management PSA par la terreur sur moi lorsque j’ai été arrêté durant cinq mois pour dépression. »

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